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Bourgeons sous la neige

“Humanisme irréel” — Poésie concise d'origine Japonaise, genre “haïku”

L'éventualité d'emploi de MÉTAPHORES dans le haïku

(reflet de mes intuitions, et non de mes certitudes)
 
  
L'emploi de métaphore est envisageable mais extrêmement délicat.
On peut distinguer trois procédés : le double sens, la métaphore discrète et la métaphore explicite.
  
 
  
I - Le double sens
 
 
 
 
  ~Streetbrush~ Sombres sont les yeux 
 
 

 

Dans ce haïku j'utilise le double sens de « Sombres » :

– sens concret non critiquable (aspect noirâtre)
– sens métaphorique (empreint de tristesse).
 
Le sens concret contrebalance le sens métaphorique susceptible de personnaliser l'épouvantail.
Ce sens métaphorique n'est pas imposé au lecteur – même si j'en force un tant soit peu le trait,
j'en conviens : « Sombres sont...» Au lecteur d'interpréter (ou de ne pas interpréter) à sa façon.

 

 
Désolé de remettre encore sur le tapis le thème de l'épouvantail, sujet éculé s'il en est !
J'avais proposé à un de nos amis cette réécriture :
 
  
Déferlante
L'épouvantail résiste
les yeux déchirés
 
 
Deux remarques par rapport à sa première mouture :

1° il y avait « s'accroche » ; un épouvantail ne peut pas en soi s'accrocher... il peut résister.

2° il y avait « yeux chavirés », très expressif mais bien trop occidental.

Par contre, « déchirés » doté d'un double sens est envisageable appliqué au sujet traité :
– sens concret non critiquable (tissu déchiré)
– sens métaphorique (âme déchirée).
 
 

II - La métaphore discrète

 
On peut utiliser une métaphore discrète pour renforcer un aspect physique et concret,                            comme je l'ai tenté dans ce haïku :
 
 
      
          
~Streetbrush~ Les monnaies-du-pape
 
 
 
L'association de « gouttes » à « lumière » n'est pas naturelle, mais « gouttes » suggère beaucoup plus           en ce seul mot que ne le ferait n'importe quel autre mot.
Je vous laisse le loisir d'interpréter à votre manière « lune froide » et « gouttes de lumière ».
 
 

III - La métaphore explicite
 

 
Une métaphore explicite doit pouvoir à mes yeux être justifiée, notamment suggérer avec moins de mots     ce qui pourrait être suggéré de manière apparemment plus simple... mais avec plus de mots.
On pourrait utiliser des métaphores explicites dans d'autres cas si l'on suggère finement en premier lieu       le rendu d'une impression plus floue, et éventuellement – pourquoi pas ? – des sentiments, des émotions. Mais pardon d'insister, c'est très délicat, il ne faut pas imposer une interprétation au lecteur ; même si elle est sous-jacente, elle doit être floue.

C'est à vous de juger de la pertinence de ce haïku :
 
  
 
~Streetbrush~ Pie en manteau noir
in Chevaucher la lune
éditions David
Ottawa (Ontario, Canada), 2001
 
    
  
L'effet métaphorique – de mon point de vue assez léger mais moins discret que dans l'exemple précédent – n'était pas du tout prémédité.

En quelques mots, la pie est esquissée dans un contexte approprié : un temps de neige.
Les deux expressions se renforcent mutuellement, ici par effet de contraste.

Ce haïku fut précédé et suivi d'essais différents : cette première version se voulait un hommage                    au peintre impressionniste Claude Monet, mais la pie est mise trop en avant, alors qu'elle est en retrait     dans la composition de « La pie », Musée d'Orsay, Paris.

Cela donna une toute autre version censée être au plus proche de la composition du tableau :
 
  
  
~Streetbrush~ Neige intacte
in Le bleu du martin-pêcheur
anthologie trilingue
éditions L'iroli, décembre 2007
  
    
 
Dans ce haïku de Buson : 
 
 
 Chauve souris
 cachée tu vis
 sous ton parapluie cassé
  
  
  in Fourmis sans ombre
  de Maurice Coyaud,
  éditions Phébus (1999), page 91
  (sous réserve
  de la traduction/interprétation
  de ce haïku japonais)
  
  
 
Il s'agit bien d'un procédé métaphorique, non d'un pur procédé de juxtaposition susceptible de créer un lien chez le lecteur. Vous devinez facilement qu'il est bien question des ailes de la chauve-souris (et pas d'autre chose), bien qu'elles ne soient pas nommées. Si vous apercevez une chauve-souris... sous un parapluie, j'espère que vous aurez un appareil photo pour immortaliser l'instant !

Il y a une justification à l'utilisation de cette métaphore dans l'influence animiste des japonais.
 
 
 
En conclusion à ce stade, je ne prône pas la métaphore explicite sauf dans quelques cas rares                      assez difficiles à discerner, mais ceci nécessiterait de faire un développement plus conséquent.
 

  
Remarque sur la suggestion et le non-dit

Ce sont mes deux leitmotiv. Il ne s'agit pas de faire dire au haïku ce qu'il ne dit pas, ce qu'il ne doit pas dire (quoique je me contredise à propos du double sens). Il s'agit d'essayer de suggérer non pas une idée mais une impression floue – une impression rendue plus floue par la suggestion, le non-dit.

Rien n'empêche, à mes yeux, de suggérer des sentiments s'il y a double sens d'un mot ou d'une expression (sens concret, sens métaphorique).

Donc, dans l'expression « sous ton parapluie cassé », Buson tente de suggérer – sans l'imposer au lecteur – une ambiance rendue plus forte par une image saisissante (non abstraite). Dans ce cas, il n'y a pas a priori de double sens... mais l'ambiance rendue est susceptible de mener le lecteur au-delà des mots.
 
 
Francis Tugayé © 2008

article publié en juillet 2008 dans le n° 20 de la revue Gong
éditée par l'Association Française de Haïku
 
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M
Que de subtilités !<br /> Merci Francis de vos explications limpides.. elles aident à faire mieux !!!
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F
Chère m'manzelle Jeanne<br /> ce n'est que ma petite pierre qui éclaire un peu mieux sur les flots mouvants !<br /> J'espère que des lecteurs/trices auront leur propres grains à moudre = ̄ェ ̄=
F
<br /> Merci à Graziella Dupuy d'avoir eu envie de publier cet article sur son blog “Au gré d'un souffle”.<br /> <br /> <br />
Répondre