Pour Giorgio Pellegrini, son club restaurant La Nena symbolise sa parfaite réussite sociale. C’est le rendez-vous de tous ceux qui possèdent un poids économique et politique en Vénétie, dans le Nord-Est de l’Italie. Giorgio Pellegrini sait ce qu’il doit au député et avocat Sante Brianese. Il l’a protégé pour faire oublier son passé d’activiste d’ultra-gauche, et ses quelques errements criminels. Avec le député et avocat, Giorgio possède un réseau d’escort girls, dirigé par Nicoletta. Le meilleur moyen de corrompre l’essentiel des décideurs de la région. Certes, le parti de Brianese est de moins en moins majoritaire face aux padanos, mais il sait toujours tirer son épingle du jeu. La bonne solution pour ne jamais avoir de problèmes avec les prostituées, c’est de les remplacer souvent. Cholokhov, l’ami Russe de Giorgio, y pourvoit sans problème. Restant dans l’ombre, le Russe est un atout précieux pour Giorgio.
S’il se montre cynique avec ses employées putes, il ne l’est guère moins avec son épouse Martina. Elle n’est pour lui qu’un jouet, pas uniquement sexuel, dont il manipule à sa guise l’emploi du temps. Son besoin de domination s’exerce également sur Gemma, la meilleure amie de Martina. Non pas qu’elle lui soit utile comme objet de sexe supplémentaire, mais le fait de dominer et de pervertir les deux femmes apporte un équilibre à Giorgio. D’autant plus en cas de crise, c’est sur elles qu’il passe sa tension. Justement, il vient de s’apercevoir que l’avocat Brianese l’a grugé de deux millions. Le politicien prétend que tel est le risque des affaires, et promet en faire récupérer autant à Giorgio. Ce dernier se renseigne auprès d’un ami, client et imprimeur. Non, son ami député l’a bien arnaqué, dans les grandes largeurs. Pas question d’une rupture brutale avec Brianese, mais il va réagir avec violence.
Une mise au point entre Giorgio et le politicien devrait établir de nouvelles bases saines entre eux. Pourtant, le système ne fonctionne plus correctement. Nicoletta avoue à Giorgio qu’il est actuellement doublé par tous ses anciens amis, proches du député. Sans doute est-ce Ylenia, l’assistante de Brianese, qui gère l’opération contre Giorgio. Si le point faible c’est le réseau de prostitution, autant le fourguer aux Maltais. Heureusement, il peut toujours compter sur l’ami russe Cholokhov.
Le revers électoral subi par le député entraîne quelques soucis financiers pour le restaurant de Giorgio. C’est alors que l’avocat le fait placer sous la domination de la ’ndrangheta, la mafia calabraise. Un trio de comptables venus blanchir le fric mal acquis chez lui, ça ne peut qu’attirer les embrouilles. Giorgio entend rester propre, en apparence, tout en écartant ces malfaisants… “J’étais né pour baiser mon prochain, et ça me plaisait salement. Ça me donnait le sentiment d’être vivant. J’avais la nette sensation d’avoir absorbé l’énergie vitale de ceux que j’avais éliminé, mais peut-être était-ce seulement l’euphorie du vainqueur ou de celui qui est revenu chez lui sain et sauf, et qui n’y croit pas encore…”
Traduit par Serge Quadruppani, ce roman affiche une noirceur redoutable. À la fois fascinant et répugnant, tels sont les qualificatifs qui viennent à l’esprit. Les jeux de pouvoir n’ont jamais été autre chose qu’un panier de crabes, on le sait. On a ici le sentiment d’approcher le summum du cynisme et du narcissisme, dans un “chassé-croisé de l’entubage”. Chacun préserve cette once de puissance, qui lui permet d’afficher son statut social supérieur (ou supposé tel). Au besoin, on n’hésite pas à tuer des gens, à en mouiller d’autres, tous les coups étant évidemment permis. À vrai dire, le pire est cette impression que Massimo Carlotto n’exagère pas tant, qu’il nous montre crûment cette facette bien réelle de l’Italie (et probablement de l’Europe). Un système définitivement pourri, alors ? C’est bien ce que l’on craint, en concluant la lecture de ce noir polar. Pessimiste, mais excellent.