Pour l’alcoolique, l’enfer “c’est les autres” !

Publié le par kreizker

 

in "Enquête&Débat", 30 avril 2014

 

Par le Dr Thierry Ferjeux MICHAUD-NÉRARD, Pédopsychiatre, DEA de Psychologie clinique

 

Comme chacun le sait, “l’alcoolique, c’est pas moi, c’est l’autre ! De toute façon, j’arrête de boire quand je veux ! Je bois pas à être saoul, à tomber par terre et à pas pouvoir conduire ma voiture pour rentrer chez moi après une dernière tournée des bars pour voir les amis !” Malgré cela, est alcoolique celui qui boit tous les jours, alors que lemalade alcoolique est celui qui boit jusqu’à l’ivresse, qu’il en soit conscient ou non, sans pouvoir s’arrêter, malgré ses promesses audacieuses. On distingue arbitrairement les BOC, les BAR et les BAD. Les BOC sont les Buveurs Occasionnels, qui n’ont jamais aucun problème avec la boisson. Ce sont des gens qui ne boivent jamais d’alcool plusieurs jours de suite, que ce soit du vin à table, de la bière avec des amis ou des alcools en apéritif. On distingue ensuite les BAR, les Buveurs à Risques qui veulent croire qu’ils seraient encore libres de l’obsession de la consommation de l’alcool et libres de s’abstenir et les BAD, les Buveurs Alcoolo-Dépendants, généralement considérés par tous comme les seuls malades alcooliques.

Ceux-là, “ce sont donc les autres” ! En réalité, le chemin de l’enfer qui conduit à l’alcoolisme n’est pas “pavé de bonnes intentions”, mais l’installation insidieuse de la “dépendance” à l’alcool progresse à mesure que se développe l’intolérance à l’alcool et la nécessité de répéter les doses et d’augmenter la consommation, “pour avoir un effet”. C’est pourquoi, les publicités destinées à favoriser la consommation de l’alcool ignorent le caractère dangereux propre aux boissons alcooliques, pour faire porter “la faute à la victime”, en indiquant que seul l’abus d’alcool serait dangereux. Ainsi, la magie de la publicité alcoolique veut nous faire croire que l’alcool serait “bon pour la santé” alors que l’abus d’alcool serait mauvais : “ce serait mal se comporter !” On comprend que tout le poids de la faute repose sur les épaules des plus fragiles vis-à-vis de l’alcool.

Comme les valeurs dominantes de notre société moderne sont alcooliques, la plupart des élus, même au sommet de l’État, sont ou ont été les dignes représentants de l’intoxication habituelle par l’alcool et les “drogues”. Un des problèmes que nous devons surmonter est que nous avons tous été élevés en France dans une culture alcoolique, à la maison et au dehors. Dans toutes les familles, dans tous les milieux, même les plus éduqués, l’alcool fait ses ravages et on ne compte plus les amis, les proches et même les célébrités, qui ont succombé ou qui vont mourir de l’alcool. Le seul moyen de savoir où nous en sommes, est de décider de rester vraiment 72 heures sans boire la moindre goutte d’alcool : pour voir ! Et pour savoir. Bonne chance à ceux qui croient en sortir indemnes ! Le mouvement des Alcooliques Anonymes, le seul qui ait des résultats tangibles en matière d’aide par l’abstinence pour le rétablissement de l’alcoolisme, a édité un petit live intitulé Vivre sobre et qui propose quelques méthodes utilisées par les Alcooliques Anonymes pour ne plus boire. Ce livre est disponible, en français, aux Éditions des Alcooliques Anonymes, sur le site des A.A. à Bruxelles. Le problème du buveur alcoolique, c’est qu’il est devenu incapable de contrôler sa consommation. Il ne peut plus jamais se permettre de “boire comme tout le monde”, un ou deux verres, avant le dîner ou pendant le repas, sans que ça prenne toujours des proportions excessives. “Il s’ensuit que le fait de ne pas boire du tout,c’est-à-dire de rester sobre, constitue le seul point de départ pour se rétablir de l’alcoolisme“.

Comme il est impossible aux buveurs alcooliques de continuer à croire qu’ils pourraient redevenir des buveurs sociaux, normaux et raisonnables, la plupart des malades alcooliques ont besoin de “toucher le fond”, de refuser le déni et de retrouver le courage de s’accepter en tant que malades alcooliques. C’est ainsi que chacun se présente à chaque réunion des Alcooliques Anonymes. C’est alors seulement qu’il devient possible de se sentir bien ensemble, sans plus recourir au mensonge et à la dissimulation, et en retirer enfin un plaisir certain. Si la personne alcoolique peut faire face à son vide intérieur avec l’aide des autres et du groupe, elle peut alors se sentir comblée sans devoir succomber au désespoir et à l’obsession de l’alcool.

Comme les membres des A.A. comprennent les problèmes de la personne alcoolique pour avoir eux- mêmes connu les mêmes difficultés, le buveur n’a pas besoin de se sentir toujours honteux ou pitoyable en s’adressant à des membres des Alcooliques Anonymes qui sont des gens compréhensifs et amicaux : “Nous n’aurions plus à subir ces hontes secrètes du renoncement, ni à renouveler nos tentatives désespérées pour trouver un peu d’assurance dans la bouteille, laquelle n’engendre que solitude“. Il n’y a pas une seule façon de boire et les conduites alcooliques des buveurs sont toutes différentes. Comme les personnes alcooliques n’aiment pas s’entendre critiquer dans leur façon de boire, elles ont, pour la plupart, été amenées à choisir leurs camarades de beuverie d’après leur façon de consommer. C’est pourquoi, si le désir sincère d’arrêter de boire est indispensable, il ne suffit pas : il faudra aussi changer de fréquentations. Car, “à force de ne plus boire, nous avons compris que nos habitudes anciennes devaient faire place à des habitudes nouvelles“.

Le Programme de rétablissement par l’abstinence propose d’acquérir de nouvelles habitudes de sobriété et surtout de nouvelles façons d’agir et de penser, afin de les mettre en pratique. S’il n’existe pas de démarche univoque pour se rétablir de l’alcoolisme, on sait que le rétablissement de la maladie alcoolique est possible sans les médecins et les personnels soignants de l’hôpital. Les médecins de l’hôpital prescrivent des médicaments qui sont des agents puissants de dépendance, contre la logique de ce que la simple expérience suggère. Ces praticiens ne s’intéressent pas personnellement aux souffrances des malades alcooliques et de leur famille, parce que les médecins de l’hôpital ont été formés à soigner les maladies physiques et mentales qui sont les conséquences médicales de l’alcoolisme. Mais ceci est absolument insuffisant pour prétendre avoir une connaissance de la maladie alcoolique autrement que sous la forme d’une “science infuse” !

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