Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 17:02
La vie d'Esteban à Montpellier avec son mur de paroles à la fac et un tableau volé par les CaciquesLa vie d'Esteban à Montpellier avec son mur de paroles à la fac et un tableau volé par les Caciques
La vie d'Esteban à Montpellier avec son mur de paroles à la fac et un tableau volé par les Caciques

La vie d'Esteban à Montpellier avec son mur de paroles à la fac et un tableau volé par les Caciques

                            Montpellier et le retour des Caciques

 

Bonjour, je m'appelle Esteban. A Montpellier, les recyclages sont des rencontres.  C'est pour cela que je collectionne des tableaux; c'est pour cela que j'habite dans une chambre minuscule, tout en haut d'un immeuble, rue de l'Université. Je peux seulement dire ce que je sais de cette ville:  Ce n'est pas vrai que là-bas tout y est à sa place, comme on le prétend. Montpellier veut faire croire. Elle voudrait faire croire, par exemple, au grand retour des Caciques. Les Caciques et leurs enfants sont presque tous nés dans les  vieux Hotels du Centre-ville mais leur adresse officielle est déplacée dans les nouveaux quartiers Hopitaux-facultés.  Quelquechose empêche ce grand retour donc. C'est assez compliqué: J'ai bien vu quelques silhouettes habillées de noir se faufiler dans les cours intérieures de ces hôtels, et attraper tout ce qui dépasse, en guise d'oeuvres d'art, pour l'enfermer à l'intérieur. Ils ne consultent pas les historiens de l'art mais ils recyclent des tableaux, discrètement. Je sais que l'Université recherche une oeuvre cachée dans un des vieux immeubles du centre ville: ( Le Prunier de Chine) . Ce n'est peut-être qu'une reproduction du "Prunier de Chine". Et pourtant. Et pourtant Monsieur Lab parle d'un carton où sont classées 200 pages de notes rédigées entre 1970 et 1991; 200 pages d'une écriture en patte de mouche, démontrant que ce Prunier est une oeuvre authentique. L'auteur de  ces pages n'habite plus ici. Mais ceux qui le connaissent; des vieux médecins, de vieux professeurs, des gens très respectés, avec qui  je parviens parfois à recycler quelques poignées de réels, se sont retrouvés. Ils se sont accordés sur l'authenticité de l'oeuvre, et plus encore, sur l'existence de ce carton qui la prouve, avec une hésitation sur l'estimation de son prix toutefois . Et moi, pendant ce temps, je me suis inscrit à la session de juin, pour passer des examens en histoire de l'art. Je n'ai réussi aucun examen, parceque je ne comprends pas cette ville: je prends tout au pied de la lettre. Je confonds l'original et la copie. Je suis encore dans "la mimésis", selon Monsieur Lab, une haute sillhouette noire et j'en oublie que tout est restauré... Alors, plutôt que de m'inscrire une nouvelle fois, j'ai fait les vendanges pour gagner un peu d'argent dans la belle lumière d'automne, j'ai participé à la décoration d'un jardin et ensuite j'ai passé tous mes week-ends d'hiver à Sète pour suivre la lumière qui filait sur l'eau, de l'autre côté de la Méditerranée.

 

    Un soir du mois d'avril, dans la rue de l'Aiguillerie, j'ai croisé  le Père Lab, ( la haute silhouette noire) , qui m'a bien expliqué les raisons de mon ratage. Je n'ai pas compris ces raisons, qui ont vaguement rapport avec la Ville. Mais j'ai compris le dialogue, qui a pour titre "Bonjour Esteban"  

-Bonjour Esteban.

-Bonjour Monsieur Lab, je vous honore bien.

-Moi aussi, moi aussi, je vous caresse bien. Mais qu'est-ce que vous voulez ? Vous êtes si jeune encore!

-Je voudrais  connaître la vérité sur le tableau.  

 -A la bonne heure !  Mais mais vous n'avez pas réussi vos examens.

 -Pourquoi ?

- Parceque vous êtes comme un oiseau qui casse le ciel. Vous n'avez envoyé que des photocopies de vos cerisiers. Elles ne sont pas valables. Il ne fallait pas se contenter d'imiter. vous comprenez ? Ce n'est pas ce que je demandais.

-Mais je n'ai que ça ! C'est mon Jardin. Un vrai.

-Que se passe-t-il avec ces cerisiers ?  

-Les troncs sont enroulés sur eux-mêmes. C'est pour cela que je pars souvent à Sète.

-Où est-il ce jardin qui vous empêche de travailler ?   Peut-on le voir ? Pourriez-vous en faire quelquechose ?

-J'ai besoin de vous le montrer pour que vous compreniez. Je voulais déjà vous y conduire avant de passer ma première épreuve. Ce n'est peut-être pas trop tard ?

-Vous prenez tout au pied de la lettre! 

-C'est vrai, mais j'aimerais tout de même vous montrer ce jardin. Il est dans l'arrière Pays

-Pourquoi me montrer votre jardin ?

-Pour comprendre.

-Hélas, non, je ne peux pas vous accompagner Esteban: vous n'êtes pas encore un Cacique.

-C'est vrai. Mais l'un de mes cerisiers "ressemble"  au Prunier de Chine.

-Non! Alors là, non! Vous êtes encore dans la mimésis !

 

Sidéré par cette dernière insulte; et par ce "non!" brutal,  qui envoyait mes Cerisiers aux cartons, je laissais Monsieur Lab à ses affaires. J'avais fait l'erreur de parler du "Prunier de Chine" pour l'attirer dans mon Jardin. J'espérais le rencontrer, pour mieux comprendre. Comme si c'était facile! Mais comment éviter les erreurs avec ces Grands Caciques ? Et comment sortir de la mimésis finalement ?  En revenant chez moi, je pensais soudain à cette phrase du philosophe Gilles Deleuze: "Qu'est-ce qu'il veut celui qui dit je veux la vérité ? Il ne la veut que sous l'empire d'une rencontre". Et par cette phrase me revenait un trait de lumière "cette fois, c'est vrai!  Plus de semblant". ( je parle de ce que j'espérais à ce moment-là).

 

En attendant, je fabrique avec les moyens du bord, comme tout le monde. Et j'appelle recyclage ce qui reste dans le creux de la main quand on traverse les fils des paroles. Monsieur Lab, comme tous ceux qui ont grandi ici, dans les vieux hotels du Centre ville, connaissent les oeuvres originales. Mais il parle d'une manière un peu flottante, que vous n'entendez pas toujours. Et si vous faites trop attention, vous n'entendrez rien. Car on a besoin d'un peu d'inadvertance pour vivre ici et pour écouter les vieux Caciques qui aiment donner leur avis mais ne souhaitent pas qu'on en tienne compte, pas à la lettre.  Ils trouveraient cela excessif. Vieux médecins de renom, vieux professeurs, ils veulent seulement qu'on les entende. Ensuite, il n'y a pas beaucoup plus de réel à Montpellier, seulement des choses à décorer, à recycler: une belle pagaille.  

 

     Accoudé à la fenêtre, j'aime bien cette pagaille:  samedi soir, les échoppes ferment leur rideaux, rue de l'Université, avec des sons, des rires, des sacs, des couleurs et les coiffures du jour. Cette nuit, rue de l'Université, nous avons entendu des groupes crier et chanter dans la rue. Dans un état second, j'ai été réveillé par des irruptions soudaine d'étudiants, de sensations, de chagrins d'amour et des peurs de ratage.  Et ce soir, la nuit ne s'annonce pas plus calme. Le terrain est instable malgré cette sensation rassurante de s'endormir au coeur du Languedoc. Une lumière de feu a rempli ma chambre tout l'après-midi. Je ramasse une enveloppe mouillée par la pluie que j'avais oubliée sur le rebord de la fenêtre. L'adresse est à moitié effacée mais encore lisible:  Hopitaux, facultés, quartier des nouveaux Caciques.  (Je préfère l' adresse officielle, plus sûre). La pluie est passée pour dévaluer ma lettre, mais peu importe, c'est un repère incontournable, au moins. Dans cette lettre je devais parler de ce que j'ai trouvé: c'est fait. Maintenant j'ai encore le temps de regarder la Rue. En bas les boutiquiers rentrent les objets non vendus. Un couple d'hommes vend des livres de seconde main. Ils ouvrent tous les matins un espace accueillant mais inquiétant, où l'on trouve si l'on cherche bien des infos sur la ville. Une vieille silhouette noire fouille encore de façon frénétique dans l'étalage des livres, à la recherche d'une page oubliée.  Et moi, comme la nuit  arrive à grands pas, comme j'ai terminé ma lettre, je vais descendre à la gare prendre un train pour Sète. C'est ma destination de la nuit. Je passerai encore un dimanche à déambuler sur les quais et regarder les Joutes. Je chercherai une nouvelle manière de papilloner dans la ville des Arts modestes, entre une parade amoureuse et le sentier des collines. Le battement des drisses accompagne déjà mes rêveries archéologiques. L'original, la copie ? Je comprendrai mieux avec des jeux, avec une brise marine. Car après tout je suis libre:  je ne suis pas encore un cacique.

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

J
C'est le bus de Rodez que vous avez photographié.
Répondre