Echangistes ou protégés?

Publié le par cassetoi-vlp

Protectionniste... Ce mot est devenu une insulte. Du point de vue du sens, il s'oppose à « libre-échange ». C'est dire. Qui s'opposerait à la liberté ? Aux échanges entre les peuples ? D'ailleurs on parle presque automatiquement de « tentation protectionniste ». Et ne nous soumets pas à la tentation, mais délivre-nous du mal , a dit Jésus!

Bon, bien sur, si l'on transpose, « libéral-échangiste » c'est déjà moins bien porté. Pas très catholique, pour ainsi dire. D'ailleurs on ne l'utilise pas. Les mots ont un sens mais le lexique a une direction. Consciemment ou non, les termes que nous utilisons pour désigner les choses résultent de notre appréciation desdites choses. C'est la connotation, tout le monde connaît cela. Et lorsque nous transmettons la connaissance d'une chose accompagnée d'un nom, nous transmettons une connotation, une opinion. Ou bien nous la recevons si quelqu'un nous la transmet. Le discours politique utilise cet effet depuis toujours. Le discours du pouvoir, en général préférera « plan social » à « renvois en masse ».

Je ne sais pas vous, mais moi j'aime bien savoir ce que l'on dépose dans ma tête. J'ai la faiblesse de considérer que ce n'est pas une décharge publique, pardon, une « unité de valorisation des déchets ». Alors je vais un peu gratter la croûte.

 

La composition même du mot oriente déjà le ressenti. Celui qui l'a forgé n'était pas un amateur. Le « isme » final évoque un dogme, donne l'impression d'un but absolu, inatteignable mais à poursuivre toujours. Alors que c'est plutôt le libre-échange qui est dans ce cas. Il vise un fonctionnement de marché où tout obstacle serait aboli, ce qui est dans la pratique impossible. Malgré tout, ce n'est pas lui qui porte le stigmate.

Voyons le contenu, maintenant : d'après le dictionnaire politique du site toupie.org, « le protectionnismedésigne la politique et les pratiques d'un Etat qui intervient dans l'économie afin de défendre ses intérêts et ceux de ses entreprises face à la concurrence étrangère et de maintenir ou développer ses propres forces de production. Le protectionnisme peut se mettre en place sur un ou des secteurs particuliers de l'économie. »

« Les mesures protectionnistes mises en place visent à limiter l'accès des marchandises, services ou capitaux étrangers :

  • limitations (contingentements) ou interdictions des importations,

  • droits de douane, taxes à l'importation, impôts spéciaux,

  • mise en place de normes, de licences (contingentement qualitatif),

  • contrôle des changes (contrôle des mouvements de capitaux),

  • aides ou subventions à l'exportation... »

 

Premier constat, il s'agit de limiter la circulation des marchandises, services ou capitaux. Il n'est pas question des hommes, des idées, ou des œuvres de l'esprit. Ce qui est critiquable, c'est de se défendre contre la concurrence, pas d'enfreindre les libertés publiques ou les droits fondamentaux.

Me voilà rassuré, je craignais que les murailles dont veulent s'entourer l'Europe, Israël ou les Etats-Unis ne soient pas politiquement correctes. J'avais peur que l'idéologie dominante ne s'oppose à des législations comme HADOPI ou ACTA, voire les brevets sur les semences. Ces gens ne font que protéger la propriété intellectuelle, or le droit de propriété est sacré et inaliénable.

On peut donc tranquillement continuer d'associer protectionnisme à fermeture, nationalisme, xénophobie, guerre. Ne riez pas, c'est tout à fait courant. Dans les éditos de nos grands médias qui font l'opinion, dans les débats d'experts, la litanie suit le mot, de manière quasi-automatique.

 

Deuxième point, il s' agit de « maintenir ou de développer ses propres forces de production. » Par les temps qui courent, ce ne serait pas un mal. Qu'est-ce qui peut bien s'opposer à une si louable démarche ? C'est simple : une idée erronnée. Le mantra libéral selon lequel le fonctionnement parfait du marché libre est le meilleur moyen d'équilibrer l'économie. Je vous dispenserai de commentaires, plus nous en approchons, plus nos voyons ce qu'il en est. C'est encore une idée de Milton Friedman, dont j'évoquais le cas hier. En réalité, cette situation de fluidité parfaite ne servirait que les intérêts des actionnaires des plus grandes compagnies mondiales.

Une protection adéquate, elle pourrait améliorer le sort des ouvriers français ou européens, c'est un fait acquis. Et ce n'est déjà pas si mal. Mais la litanie revient, pour nous expliquer que les travailleurs chinois ou roumains n'ont pas à subir les effets de notre paresse et de notre incompétence. Que se protéger c'est empêcher les pays émergents d'émerger. Bien. Posez donc la question à l'agriculteur africain ruiné par le lait en poudre ou le poulet aux hormones venus d'Europe. Ne la posez pas à l'ouvrier chinois, il ne vous répondrait pas. Mais est-ce son intérêt que nous continuions à offrir un débouché au fruit de son exploitation ? Si son patron devait choisir entre donner des taxes à l'état importateur ou donner du salaire à ses ouvriers, choisirait-il les taxes ? N'est-ce pas le véritable internationalisme, réellement conforme à la meilleure tradition ouvrière, que de peser ainsi sur le rapport de force ?

 

Il reste à évoquer la possibilité d'innover dans les protections. Puisque seule l'innovation nous sauvera, comme on l'entend souvent, allons-y. L'usage des taxes à l'importation ou des subventions à l'exportation n'a rien de neuf en soi, c'est même la pratique constante et massive des Etats-Unis. Mais notre objectif étant différent, nous modifierons l'outil. Il ne s'agit pas ici de viser des catégories de produits, ni des pays d'origine. Les visas qui devraient s'appliquer (et qui s'appliqueront en cas de victoire du Front de Gauche) concernent les conditions de production et d'acheminement des produits.

Conditions sociales d'abord. Pour obtenir le visa, certains des excès les plus graves pourront être directement interdits : travail des enfants, travail forcé, etc... Ensuite, ceux qui permettent silplement à l'employeur de faire des économies, absence ou manque de couverture sociale, salaires trop bas, conditions de travail trop mauvaises, feront l'objet d'une surtaxe. Ce surcoût est prévu pour compenser l'économie réalisée. Un patron, la plupart du temps, donne prioroté à son intérêt. C'est humain (dans une certaine mesure). Il s'agit donc de lui donner intérêtà mieux traiter ses salariés. Et faites-lui confiance, il le fera.

Dans le même esprit, des normes sévères peuvent être appliquées concernant la qualité des produits (sanitaire, par exemple) et l'impact sur l'environnement. De ce point de vue, évidemment, les vendeurs les plus lointains seront défavorisés, du seul fait de l'empreinte carbone du transport. Ce qui ne sera pas une mauvaise chose, les transports inutiles sont une des plaies de cette économie folle.


Et puis, vous savez quoi ? On peut même imposer les visas pour la mise en vente des produits français. Le niveau de qualité, la rationalité de la diffusion ne peuvent que s'en trouver améliorés. Et l'Europe n'y pourra rien dire, même au nom de sa fameuse concurrence libre et non faussée.

 

Publié dans Idéologies

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